En Iran, les empoisonnements se multiplient dans les écoles de filles
Près de 800 élèves ont été affectées depuis les premiers cas d’intoxication par voies respiratoires signalés dans la ville de Qom en novembre 2022. Les autorités, critiquées pour leur passivité, ont lancé une enquête.
Depuis quatre mois, les cas d’écolières empoisonnées se multiplient en Iran. D’après les estimations données ce mercredi 1er mars par la porte-parole de la commission parlementaire de la santé, près de 800 élèves ont été affectées, dont un grand nombre ont été hospitalisées. Cette affaire d’intoxication collective, attribuée à des opposants à la scolarisation des filles, a provoqué une grande émotion dans le pays, où des voix dénoncent la passivité des autorités face au nombre croissant d’établissements touchés.
Les premiers signalements d’empoisonnement par voies respiratoires d’écolières sont survenus à Qom, centre des études religieuses chiites en Iran, fin novembre 2022. D’autres ont depuis été signalés dans plusieurs villes, dont la capitale Téhéran, où les médias font état de nouveaux cas d’intoxication dans au moins trois établissements. Au total, une quinzaine de villes ont été ciblées par ces empoisonnements.
Au lycée Khayyam, situé à Pardis, dans la banlieue est de Téhéran, un projectile a été lancé dans la cour de l’établissement mardi, diffusant un gaz non identifié qui a provoqué plusieurs intoxications, rapporte Armin Arefi, journaliste au « Point ».
Mercredi, les élèves de sept écoles de filles de la localité d’Ardabil (nord) ont été indisposées par des émanations de gaz et 108 personnes ont été transportées à l’hôpital, a annoncé le chef du service hospitalier à l’agence de presse Tasnim. L’état général des élèves évolue favorablement, a-t-il précisé.
Protester pour des « écoles sécurisées »
Les établissements concernés ont signalé des évanouissements, des maux de tête, des vomissements, une faiblesse généralisée.
Selon les résultats d’examens toxicologiques fournis par le ministère de la Santé et cités par un député, la substance toxique utilisée à Qom – ville de laquelle sont venus les premiers signalements – était composée notamment de gaz N2, à base d’azote, utilisé dans l’industrie ou comme engrais agricole.
Le régime iranien a mis du temps à réagir. Le ministre de l’Education a d’abord évoqué des « rumeurs », assurant que la conduite des élèves à l’hôpital se justifiait par l’existence chez ces dernières de « maladies sous-jacentes ». Il a fallu attendre un rassemblement de familles, protestant devant le siège du gouvernorat de Qom le 14 février, pour que la situation attire l’attention et alerte les autorités. Sur place, les parents exigeaient « des explications » et des « écoles sécurisées » pour leurs enfants.
Le lendemain, une enquête était finalement ouverte afin de déterminer l’origine de cet empoisonnement. « Les ministères des Renseignements et de l’Education coopèrent », annonçait le porte-parole du gouvernement Ali Bahadori Jahromi.
Une riposte au soulèvement populaire ?
Le vice-ministre de la Santé, Youness Panahi, qui a donné une conférence de presse dix jours plus tard, le 26 février, s’est contenté d’expliquer qu’il s’agissait « de composés chimiques disponibles » sur le marché (donc « pas d’usage militaire ») et qu’on savait comment les traiter. Toutefois, il « a implicitement confirmé que l’empoisonnement des élèves de Qom était intentionnel », selon l’agence officielle Irna.
Youness Panahi a expliqué que « certains individus » cherchaient, par ces actions, à « fermer toutes les écoles, en particulier les écoles de filles ». Objet d’un large consensus, l’éducation pour tous est obligatoire en Iran, où les filles représentent même une majorité des étudiants dans les universités.
Mercredi, le ministre de l’Intérieur, Ahmad Vahidi, a annoncé que les autorités enquêtaient toujours sur les « responsables éventuels » des intoxications mais qu’aucune arrestation n’avait encore été faite.
En attendant, certaines voix s’élèvent pour accuser le régime d’être derrière ces événements. Ainsi Maryam Radjavi, présidente du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), une coalition de l’opposition, a nommément tenu pour responsable « les agents de [l’ayatollah Ali] Khamenei » qu’elle accuse « de vengeance » en réaction au mouvement de protestation contre les mollahs déclenché par la mort en septembre 2022 de Mahsa Amini, une jeune femme décédée après son arrestation par la police des mœurs qui lui reprochait d’avoir enfreint le code vestimentaire strict imposant notamment aux femmes le port du voile en public.
Si le lien entre les autorités et ce phénomène n’est pas établi, rappelons toutefois que les établissements scolaires représentent des foyers importants du mouvement de contestation qui traverse le pays et que les jeunes femmes ont été à l’avant-garde de ce soulèvement.
Ces méthodes d’intoxications collectives ont déjà été employées par les talibans en Afghanistan, qui s’opposent à l’éducation des filles.
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